Posted: mai 22nd, 2015 | Author: valognes | Filed under: Coin lecture, Revue de presse, Textes en français | Commentaires fermés sur La Vache et l’irradié, lettre de Fernandel
Les détecteurs de radioactivité suivants ont été soufflés par un vent mauvais incendiaire :
Brennilis, Salives-Morvilliers et Belleville-sur-Loire.
« Au lendemain de l’accident, la seule chose à laquelle j’ai pensé
a été de sauver des animaux. Maintenant, je ne peux plus arrêter. »
Naoto Matsumara (Metronews, 10 mars 2014)
Naoto Matsumara, Le Dernier Homme de Fukushima, est le promoteur
et le héros utile de la survie en milieu contaminé.
Il y a quelques décennies, c’était la vache qui sauvait le prisonnier.
Il y a deux raisons pour lesquelles ces détecteurs méritaient ce sort. La première est bien connue de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’industrie nucléaire, la seconde l’est bien moins.
La première raison est qu’ils ne tiennent pas la promesse de la transparence, mais la seconde est plus décisive : elle relève de ce que nous promet la transparence. Ce sont ces deux formes de mensonge que ces destructions livrent à la publicité.
Les nucléocrates comme les antinucléaires savent bien que « l’unité de mesure supportable » par l’homme varie selon les besoins du moment de l’industrie nucléaire. Les premiers parce qu’ils organisent le va-et-vient des doses administrées, leurs contestataires parce qu’ils dénoncent ce mensonge quantitatif.
Les habitants des environs de Fukushima – y compris les plus fragiles – sont légalement exposés aux doses naguère prévues pour les seuls travailleurs des centrales, les circonstances posent la norme. Les appareils de mesure installés par les autorités japonaises l’ont été de telle sorte qu’ils reflètent une quantité d’irradiation minorée, cela oriente les dissensions entre écolocrates et nucléocrates vers un devoir commun de transparence.
Le régime d’habituation est à l’œuvre depuis le début de l’histoire de la radioactivité industrielle et médicale. Les études effectuées depuis Hiroshima et Nagasaki partent du principe que l’homme s’adapte à la dose, c’est la définition même du sievert. L’OMS écrivait dès 1957 : « Cependant, du point de vue de la santé mentale, la solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude et qui, pour citer Joseph Addison le poète anglais du XVIIIe siècle, saurait « chevaucher l’ouragan et diriger la tempête ». » On sait lesquels font les fous.
Après l’effondrement des réacteurs de Fukushima, l’opacité idéologique était telle qu’elle avait laissé apparaître l’absence d’informations. Spontanément, quelques citoyens comblèrent cette lacune en organisant des campagnes de distribution de détecteurs de radioactivité individuels. Quelques mois plus tard, leur combat pour l’accès de tous à l’information s’institutionnalisa sous la forme du CRMS (Citizen’s radioactivity measuring station) avec l’adoubement de la CRIIRAD. Ce sont les mêmes intentions qui guidèrent les pionniers de la contre-mesure en France. Aujourd’hui, de la Biélorussie au Japon, les effets pervers de cette volonté de transparence qui complète celle des nucléaristes finissent de se révéler, le problème ne serait plus l’atome, mais la dose.
Venons-en à l’aspect qualitatif du mensonge. Nous sommes habitués et il s’agit de nous résigner plus encore. La France est constellée d’appareils de mesure de radioactivité non pas pour nous protéger – un thermomètre ne fait pas baisser la fièvre ni ne refroidit un corium – mais pour nous rendre ordinaire la présence même du nucléaire. Leur dispositif consacre une attente collective. Ils condensent la certitude d’une catastrophe à venir en maquillant celle qui est déjà là, en régime chronique, sinon aigu. L’IRSN, l’ACCRO et la CRIIRAD, chacun à sa sauce, préparent les citoyens à devenir acteurs de la catastrophe le moment venu. L’écologiste chevauchera l’ouragan pendant que l’État dirigera la tempête. L’autre solution est évidemment que l’industrie nucléaire cesse. C’est la seule façon de rendre réellement les détecteurs de radioactivité à leur inutilité.
Plus généralement, qu’il s’agisse de la gestion de l’argent en période de crise économique perpétuelle assumée ou d’autres formes de nuisances morbides comme les pesticides, les OGM, etc., les normes juridico-techniques, volontiers participatives, régulent l’attente de la catastrophe. Les chiffres et les codes désignant les seuils de la qualité de la vie traduisent la réalité de sa dégradation. Nous sommes sommés de nous contenter de ne pas être déjà demain quels que soient nos malheurs d’aujourd’hui.
On n’arrête pas plus l’émission de radioactivité d’une centrale nucléaire en pétant un compteur Geiger qu’on n’arrête le passage du temps en cassant sa montre ou une horloge. Mais contrairement au temps, la radioactivité est lourde de certitudes.
Fernandel, 10 mai 2015
La lettre de Fernandel : fichier pdf à télécharger
Suite à un problème d’aiguillage en gare de Valognes, Fernandel n’a pas laissé d’addresse. Il a, en revanche, laissé quelques traces radioactives dans la presse, et un article qu’il lit à Marguerite les soirs de solitude.
Posted: novembre 15th, 2011 | Author: valognes | Filed under: Revue de presse | Commentaires fermés sur Audios « Sons en lutte »
via Canal Sud disponible en écoute sur Sons en luttes
Emissions de Radio Canut et de Fréquence Paris Plurielle disponibles en écoute sur Sons en luttes
Posted: novembre 14th, 2011 | Author: valognes | Filed under: Coin lecture, Revue de presse | Commentaires fermés sur La fureur énergétique (ou comment s’en défaire)
Par la maison d’édition La Lenteur, paru dans l’Ire des chênaies (hebdo de Radio Zinzine) n°415 du 2 novembre 2011.
Depuis longtemps, la mémoire des hommes avait enregistré que la côte Nord-Est du Japon était exposée à des tsunamis violents du fait de la proximité d’une zone sismique. Au XIXe siècle, une vague de 30 mètres avait été observée. Malgré ce que le Japon avait déjà subi de la science de l’atome en 1945 (Hiroshima et Nagasaki), le forcing industriel avait réussi quelques années plus tard à implanter là une centrale nucléaire à l’abri d’une digue de 5 mètres seulement. Le 11 mars dernier, la violence des flots à anéanti tous les dispositifs de sécurité. Pompiers, techniciens, liquidateurs volontaires ou forcés (certains sont réquisitionnés parmi les clochards), tentent depuis des mois au péril de leurs vies de freiner le processus inimaginable qui s’est déclenché à Fukushima. Tellement inimaginable que personne n’en souffle plus mot, que les médias préfèrent ne rien nous en dire, et laisser ce démenti brûlant de l’arrogance moderne s’épancher dans un assourdissant silence- de honte.
La compagnie propriétaire du site était connue pour ses mensonges, en accord avec l’Etat elle avait systématiquement minimisé des incidents antérieurs. La catastrophe en cours depuis mars démontre la fatuité des élites politiques et techniciennes, leur impuissance à dominer la machine qu’ils ont mise en branle, qui est ors de proportion avec l’intelligence et les sentiments humains. Cet emballement n’est pas propre au nucléaire, la dérive climatique suscite une détresse analogue. Le déséquilibre entre ce qu’une activité humaine aliénée, obsédée par l ‘efficacité à court terme, peut produire, et ce que les êtres humains sont en général capables de comprendre et d’endurer, apparaît de plus en plus tragiquement.
La conjuration industrielle présente la croissance des moyens de production les plus extrêmes comme inévitable, du fait de l’explosion démographique et de la demande universelle de « confort ». Les décideurs veulent faire croire que c’est la somme de besoins individuels qui pousse spontanément au gigantisme et à la déraison. Mais alors, pourquoi n’interdisent-ils pas la publicité qui stimule et déforme ces besoins (et coûte si cher en énergie…)? C’est que la société dont ils sont les dépositaires ne pourrait tenir debout sans cela, si s’arrêtait la course au plus. Si les capitaux partout investis n’en ressortent pas plus gros, ils ne se conservent même pas, l’argent fond et c’est la faillite généralisée.
Les élites enragées de bizness font ainsi chanter des peuples le plus souvent passifs et consentants : la surenchère énergétique ou le gouffre économique ! La course à l’abîme écologique ou le chaos social ! La peste ou le choléra ? Peu importe que ce soit du nucléaire, du gaz de schiste, du pétrole, ou du renouvelable (éolien, photovoltaïque) – filières différentes mais sur lesquelles surfent indifféremment les firmes les plus avisées, comme GDF-Suez. L’important est que soit exclue la question : « combien d’énergie et pour quoi faire ? ». La boulimie d’énergie est la malédiction normale d’une société qui a accepté l’autonomie de la logique économique comme un bien (ou un moindre mal).
Qui veut aujourd’hui remettre frontalement en cause cette logique économique et la boulimie mortifère qui en découle ? Qui souhaite sérieusement sortir de la compétition mondiale, de la course aux plus bas coûts de production, du règne des chiffres, du renouvellement incessant des marchandises, de l’extension sans fin des réseaux de communication (matériels et immatériels) ? Bref, qui est prêt à se battre contre le développement, pour une autre idée de l’homme que celle qui a dominé en Occident et ailleurs depuis plusieurs siècles ?
Actuellement, aucune force politique ou sociale n’existe pour cela. Par contre, cette direction affleure dans un certain nombre de luttes locales contre des infrastructures industrielles, en Europe et en Amérique latine. Elle est portée, souvent de manière incomplète, timide ou implicite, par ceux qui se battent contre le TGV dans le Piémont (Italie) ou au Pays Basque (Espagne), par celles qui empêchent la construction du nouvel aéroport de Nantes, par une partie de la mobilisation contre l’extraction de gaz de schistes en France, par les luttes contre l’implantation d’éoliennes ou les transports de déchets nucléaires.
Il serait bon que l’espace et l’esprit de ces luttes s’étendent dans la société. Il serait souhaitable qu’elles amènent au centre du débat politique la nécessité d’un inventaire radical de nos besoins – un inventaire qui ne reposerait pas sur les statistiques des experts et ouvrirait d’autres perspectives que celle, chimérique, d’une « consommation responsable ». Comme le disent des antinucléaires bretons, « la ligne de partage n’est pas entre le nucléaire et les énergies alternatives mais entre une production d’énergie centralisée, commerciale, et gérée par en haut, et une production en contact direct avec les besoins qu’elle doit satisfaire. C’est seulement à l’échelle locale que se dissout l’alternative entre le nucléaire et la bougie : car là les besoins existants peuvent se donner les moyens de la production qui leur est nécessaire, et en retour les possibilités de production peuvent redéfinir intelligemment les besoins. Il faut cesser de penser la question de l’énergie en terme national si l’on entend sortir de l’impuissance. » (cf : http://valognesstopcastor.noblogs.org)
Ajoutons qu’il faut aussi sortir du cadre de la politique professionnelle et électorale. La totalité de la classe politique française s’est portée caution des meurtres de Tchernobyl et Fukushima, en n’arrêtant pas immédiatement et sans condition les centrales nucléaires sur notre sol, en continuant d’en exporter à travers le monde. Pourra-t-on, chez nous, en sortir sans dégager l’ensemble de nos représentants ?
Les éditions de La Lenteur, Octobre 2011
(Les éditions de La Lenteur ont publié en 2007 une Histoire lacunaire de l’opposition à l’énergie nucléaire en France, textes choisi et présentés par L’ACNM ; et feront paraître en 2012 une réédition de Tchernobyl, une catastrophe, bilan de l’accident européen de 1986 dressé par les physiciens indépendants Bella et Roger Belbéoch.
Ce tract est librement inspiré d’un texte ayant circulé dans les Cévennes peu après le début de l’accident de Fukushima, en supplément au journal Pour la suite du monde.)